La crise sanitaire de la Covid-19 jette une ombre de doutes, d’incertitudes et surtout d’inquiétudes sur l'avenir des jeunes du monde entier dans un contexte économique de plus en plus incertain. Ce sont pourtant eux qui seront appelés à être les acteurs majeurs du relèvement des sociétés dans lesquelles ils vivent.

Lors de la Journée mondiale des compétences des jeunes de 2020, événement annuel institué en 2015 par l’Assemblée générale des Nations-Unies pour sensibiliser le public à l’importance d’investir dans le développement des compétences des jeunes, le magazine WeForum s’est entretenu avec des jeunes pour récolter leurs réflexions sur la nécessité qui se fait pressante d’une refonte de l'éducation et du référentiel de compétences afin de répondre aux nouveaux enjeux qui se poseront immanquablement quand adviendra l'ère post-Covid 19.

Inadéquation entre l’offre et la demande

Selon les participants à cet événement mondial, qui ont affirmé leur souhait d’acquérir une éducation de meilleure qualité et des compétences nouvelles, la Covid-19 a rendu la situation, qui était déjà difficile et lacunaire, pire encore qu’elle ne l’était... Avant la survenue de cette pandémie déjà, ils étaient, comme les jeunes du monde entier ou presque, confrontés à une inadéquation croissante entre les compétences qu'ils apprenaient à l'école et celles que demande un marché de l'emploi de plus en plus ancré dans les nécessités modernes de la maîtrise des hautes technologies.

Mais désormais, alors que frappe la déferlante du chômage et de la précarité dus à la Covid-19, c’est plus d'un milliard de personnes qui ne sont pas scolarisées. Et des millions de jeunes qui devaient rejoindre le marché du travail ne parviennent pas à trouver un emploi. Ce moment historique constitue ainsi pour beaucoup une occasion en or pour réinventer une bonne fois pour toutes le système de l'éducation et de l’apprentissage des compétences dispensées pour préparer les étudiants à un monde du travail en évolution rapide. "Mais les gouvernements et les entreprises ne peuvent résoudre seuls ce problème", pointe le Forum économique mondial.

Ainsi, à l'occasion de la Journée mondiale des compétences des jeunes, organisée en 2020 sous la forme d’une table ronde en ligne, se sont réunis des jeunes des quatre coins du monde pour débattre de ce thème et livrer leurs souhaits et points de vue sur la façon dont les différentes sociétés pourraient reconcevoir et ré-imaginer les systèmes d'éducation et de compétences pour répondre à leurs besoins.

Profitant de la tenue de cet événement, le Forum économique mondial, qui en a rencontré quelques-uns d'Algérie, d'Argentine et d'Afrique du Sud, a également organisé une discussion virtuelle, animée par Mari-Lisa Njenga, une jeune militante du Kenya, et identifié quatre principes fondamentaux qui devraient selon elle guider le changement.

1) Oui aux compétences modernes, non aux programmes à l'ancienne

Les participants étaient unanimes à exprimer le sentiment que les écoles et les universités ne dotent plus désormais les jeunes des bonnes compétences et des outils de réflexion adéquats, ni n'enseignent de la manière qui puisse tirer le meilleur parti de la technologie moderne que les jeunes d'aujourd'hui souhaitent maîtriser davantage. "Je pense que nous devons sensibiliser les éducateurs au fait que les programmes d'enseignement sont désormais dépassés", a déclaré Rafik Amrani, 20 ans, étudiant en informatique à l'Université américaine de Beyrouth. Pour lui comme pour tant d’autres, le monde de l’entreprise a un rôle important à jouer. "[Les entreprises] savent quelles compétences manquent à leurs recrues afin de pouvoir dire aux éducateurs quelles compétences sont pertinentes", a-t-il estimé.

2) Les compétences générales sont essentielles

Les jeunes participants ont convenu que pour réussir dans son avenir professionnel, leur génération aura besoin de renforcer ses compétences générales dans plusieurs domaines tels que la communication, la pensée critique et la résilience. Compétences que les jeunes devront continuer à renforcer et à étendre tout au long de leur carrière. L’actualisation continuelle des connaissances est ainsi devenue une idée unanimiment partagée.

"Lorsqu'une politique n'existe pas ou qu'une règle ne favorise qu’un groupe spécifique de votre communauté, vous devez savoir comment changer cela", a par ailleurs déclaré Maryam Elgoni, étudiante en maîtrise en relations internationales. Il faut donc selon elle apprendre à "lancer des pétitions, organiser des marches, etc., et également contribuer efficacement à une politique ou à des programmes d’entreprise" spécifiques.

De son côté, Ulises Brengi, étudiante en architecture à l'Université de Buenos Aires, considère que "nous devons cesser de considérer les compétences comme des connaissances académiques de haut niveau" et davantage mettre l’accent sur les "compétences humaines". "J'espère, dit-elle, que cette crise nous mènera vers une nouvelle économie plus responsable, et non seulement basée sur le profit. Pour y parvenir, nous avons besoin de personnes dotées de solides compétences générales".

3) Connectivité numérique et apprentissage numérique

L’autre thème, abordé comme l’enjeu majeur du siècle, était le potentiel de la connectivité numérique et de l'apprentissage en ligne pour élargir l'accès aux opportunités pour les jeunes du monde entier. "Pour réinventer l'avenir des compétences, je pense que nous avons besoin de programmes d'échange éducatifs et culturels en ligne plus diversifiés. Et si nous pouvons nous assurer que chaque jeune, où qu’il se trouve, ait accès à un téléphone portable et à Internet, c'est un moyen pour nous de construire un avenir plus juste pour [l’acquisition de nouvelles] compétences", a ajouté Brengi.

Un point de vue qui va d’ailleurs dans le sens des résultats d’une étude onusienne. Les répondants à une enquête sur le fonctionnement des institutions de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, menée conjointement par l'UNESCO, l'Organisation internationale du travail (OIT) et la Banque mondiale, ont indiqué que la formation à distance est devenue le moyen le plus important de transmettre des compétences, avec toutefois des difficultés considérables concernant, entre autres, l'adaptation des programmes, la préparation des stagiaires et des formateurs, la connectivité ou encore l’organisation d’un bon processus d'évaluation et de certification.

4) Atteindre les communautés vulnérables

De façon générale, la facilitation de l'accès à la connaissance et à un système éducatif et culturel de qualité constitue un thème clé pour aborder l’ère post-covid. L'idée qui a émergé des échanges tenus lors de la Journée mondiale des compétences des jeunes est la nécessaire décentralisation de l'éducation. Mais il s’agit également de comprendre, selon les participants, que les classes des écoles ne devraient plus être aujourd’hui le seul lieu d’acquisition et de développement du savoir. Pour Maryam Elgoni par exemple, il s'agit ainsi d'essayer spécifiquement d'atteindre ceux qui se trouvent dans des situations vulnérables ou dans des lieux géographiques pénalisés par l’absence criante de bons systèmes éducatifs, eux qui sont, en plus, déjà désavantagés par l’absence de politiques culturelles.

"Sur le plan commercial, il s'agit de créer des opportunités nouvelles pour les personnes vivant dans des espaces vulnérables", a-t-elle ajouté au cours de la discussion organisée par le FEM. "Nous devons nous assurer que les jeunes des communautés vulnérables ont également accès à des opportunités de stages ou d’expériences professionnelles formatrices". Elle dit ainsi attendre "avec impatience" de voir se profiler un avenir où "chaque jeune qui a un rêve ne sente jamais que son espoir et ses projets sont limités en raison de sa situation". Et souhaite "qu'aucune compétence ne puisse être inaccessible uniquement en raison de qui vous êtes ou de l'endroit où vous vous trouvez".

Avant la crise actuelle, les jeunes âgés de 15 à 24 ans étaient déjà trois fois plus susceptibles que les adultes d'être au chômage et souvent confrontés à une période prolongée de transition entre les bans des écoles et des universités, et le travail. Or dans les sociétés post-Covid-19, ce sont bien les jeunes qui seront appelés à contribuer à l'effort de relèvement socioéconomique. L’ONU appelle ainsi à ce qu’ils puissent être "dotés des compétences nécessaires pour gérer avec succès les défis en constante évolution et la résilience pour s'adapter aux perturbations".