La maîtrise par les employés, jeunes et moins jeunes, des hautes technologies pour intégrer le monde des entreprises et des startups est devenue un enjeu fondamental pour l’économie et le monde de l’entreprise de demain. Par ailleurs, l’adoption des nouvelles technologies dans les infrastructures organisationnelles est au cœur du bouleversement économique que nous vivons, en particulier en cette période de reconstruction post-covid 19.
Mais concrètement, est-ce que l'adoption effective de technologies nouvelles et émergentes dans la plupart des organisations peut être qualifiée d’optimale? Plusieurs acteurs, comme les boîtes de conseil et les organismes de recherche, observent en effet que de nombreux obstacles persistent, empêchant ainsi l'adoption de la technologie au niveau organisationnel, comme c’est par exemple le cas en Tunisie. Dans ce contexte, un état des lieux des problématiques qui perturbent cette transition essentielle, ainsi que des principales préconisations visant à les résoudre - et que les entreprises tunisiennes doivent d’ailleurs sérieusement envisager de mettre en place -, ont été listées par le Harvard Business Review.
Un phénomène qui a tendance à maintenir les entreprises et différents types d’organisations dans le carcan des modèles de développement anciens, voire désuets, qui freinent leur entrée dans des processus innovants pouvant les aider à atteindre leur plein potentiel d’évolution. Si ce retard en matière d'adoption des hautes technologies a longtemps inquiété les entreprises, aujourd'hui, il devient l’objet d’une véritable préoccupation face à la survenue d’une crise économique majeure, consécutive aux contraintes imposées brutalement par la crise pandémique mondiale du coronavirus.
"Beaucoup de fonctionnnaires sont réticents à l'idée d'utiliser les nouvelles technologies. Pour eux, ils les perçoivent comme des outils de 'flicage' et bloquent contre toute réforme. Si je viens du secteur privé où leur utilisation est normale voire indispensable, mettre en place des technologies développées au sein de mon département s'est avéré plus compliqué que prévu. Par exemple, certains refusent d'utiliser les mails sous prétexte que cela ne les protège pas juridiquement et optent pour du papier libre qui lui pour le coup risque de disparaitre. Autre exemple, j'ai aussi essayé d'installer la communication directe entre les départements par Hangout ou des outils du genre, mais les équipe n'y ont pas adhéré contiuant un va-et-vient inlassable entre les bureaux" explique un Directeur de département d'une entreprise publique tunisienne, qui a souhaité garder l'anonymat.
Le Harvard Business Review estime d’ailleurs que si les entreprises ont été amenées à réévaluer leurs modèles commerciaux, "beaucoup ont adopté la technologie pour contrer les conditions de marché difficiles". En menant en particulier deux types de transformations: externes, comme le renforcement notable de leur présence en ligne pour échapper tant bien que mal à la fatalité des baisses de revenus, et internes, comme l'automatisation de la gestion de la paie qui permet un grand gain de temps ou encore la mise en place d’outils visant à contrôler les flux de travail afin de permettre aux équipes de travailler efficacement et de manière productive à partir de leur domicile.
Premier facteur du retard technologique: la culture organisationnelle
Des recherches menées avant même l’apparition de la pandémie sont de ce point de vue éclairantes. Publiée à l'automne dernier et sur la base d'entretiens avec 750 dirigeants d’Australie, de Chine, de Hong Kong, de Nouvelle-Zélande, du Singapour, du Royaume-Uni, des États-Unis et d’Inde, une enquête de l'Economist Intelligence Unit a identifié six problématiques liées à ce retard: faibles compétences des employés, manque de sensibilisation de la direction, manque d'opportunités de travail à distance, culture organisationnelle inadaptée, problèmes de coût et de risque, et infrastructures inadéquates. Ces éléments désavantageux constituent un obstacle d’autant plus grand lorsque les entreprises sont anciennes, donc limitées dans leurs possibilités d’action par la présence de systèmes organisationnels encombrants et dépassés.
Toutefois, si les coûts, la complexité de la démarche et les lacunes de compétences sont tous des obstacles bien connus, c’est bien la culture organisationnelle qui doit venir en appui à la technologie qui est à revoir. Sans elle, "les investissements dans la formation ou des outils spécifiques pourraient s'évanouir" et c’est pour cette raison que la culture organisationnelle est considérée comme un "domaine d'intérêt particulier pour les entreprises qui souhaitent s'adapter aux nouvelles technologies dans les mois à venir", estime le HBR.
Les leviers permettant d’y remédier
Le HBR identifie cinq leviers fondamentaux pouvant aider les chefs d'entreprise à créer une culture qui contribuera à favoriser une meilleure adoption des technologies.
"Encouragez l'utilisation de la technologie". Notamment par des pratiques d’évaluation ludiques. "De la même manière que les évaluations périodiques déterminent les compétences du personnel, le champ des évaluations des employés peut être élargi pour inclure les scores d'adoption de la technologie. Par exemple, les équipes de bureau et les enseignants de plusieurs pays utilisent déjà des applications de gamification telles que Kahoot pour évaluer le personnel et les étudiants", illustre la revue américaine. Celle-ci fait aussi valoir que si la grande majorité des gens adoptent facilement la technologie dans leur vie personnelle (smartphones, montres intelligentes, applications...), alors les employés le feront également s’ils y sont encouragés avec de bonnes incitations sur leur lieu de travail, ou de la part des gouvernements s'ils sont employés dans le secteur public.
"Investissez dans l'infrastructure". Si l'utilisation de la technologie est mise à disposition dans un cadre où persiste une certaine lourdeur, son adoption sera décevante. La création d'une culture d'adoption de pratiques technologiques consiste donc à rendre l'infrastructure qui l'entoure - réseaux et systèmes informatiques, logiciels, etc. - favorable et conviviale. Sans investissements et sans plan d'exécution tourné spécifiquement vers les hautes technologies, il sera difficile de convaincre les employés des avantages de leur adoption dans l’entreprise. Malgré le caractère onéreux de cette démarche, le coût d'opportunité auquel l'entreprise est confrontée lorsque les technologies dont elle dispose sont encombrantes, obsolètes et dépourvues des bons systèmes de soutien, doit être pris en considération.
"Faites de la requalification et de l'apprentissage une partie du plan stratégique". L'éducation, la formation et la requalification professionnelles contribuent grandement à favoriser le développement d’une culture favorable à l’objectif de la transition numérique. Dès lors, avant de proposer de nouvelles technologies aux employés, les organisations devraient leur fournir la formation et le soutien appropriés pour mieux les utiliser et s’y adapter.
"Ne le faites pas de manière fragmentaire". Les organisations doivent avoir une stratégie à long terme pour créer une culture qui encourage et épouse une adoption de la technologie réellement efficace. Une approche "fragmentaire", si elle peut apparaître comme un progrès à court terme, ne conduira pas à la création d'un état d'esprit axé sur le numérique. Surtout, elle n'entraînera pas de rupture nette avec les systèmes ou attitudes déjà fortement ancrés dans la culture de l’entreprise.
"Comprenez comment les gouvernements et les politiques sont impliqués". Ici, c’est donc le politique qui est visé. Car les gouvernements peuvent jouer un grand rôle incitateur dans la promotion d'une culture d'adoption des technologies. L’adoption de nouvelles pratiques émane souvent d’une incitation provenant de la plus haute autorité, créant un environnement propice à l'essor de la technologie. Jeter les bases juridiques et construire les écosystèmes qui attirent les entrepreneurs technologiques relèvent en effet du champ d’action du politique. D’autant que ces initiatives pourront à leur tour stimuler l'innovation, renforcer les compétences de secteurs comme la recherche et le développement et encourager le partage des connaissances.
Un enjeu mondial
Compte tenu des préoccupations croissantes concernant les flux de données circulant à travers les frontières, les gouvernements devraient travailler en étroite collaboration avec les acteurs privés pour garantir la sauvegarde des intérêts souverains et économiques. Et certaines petites et moyennes entreprises (PME) sont incitées par leurs gouvernements à se numériser plus rapidement. Un exemple typique est celui du Singapour, où le gouvernement encourage les PME à accélérer leur transition numérique en vue de lutter contre les impacts économiques du Covid-19.
Le processus de transition vers des modèles basés sur la technologie doit d’autant plus être encouragé qu’il est en réalité rendu bien plus facile et fluide par les entreprises technologiques, dont les modèles commerciaux sont précisément basés sur la mise à disposition de leurs produits au plus grand nombre d'utilisateurs possible. En misant sur la démocratisation de la technologie, les entreprises de pointe font de l’usage massif de leurs technologies un élément moteur dans le développement de ces mêmes innovations. "Par exemple, avec le besoin soudain d’un grand nombre d'outils éducatifs en ligne, la pléthore de produits que Google propose à lui seul a permis une adoption et une adaptation rapides au sein des écoles et informera sûrement la feuille de route des produits" de ce géant du Web, relève encore la revue américaine.