La technologie aura bien servi l’humanité. Depuis la révolution industrielle, l’homme ne cesse de compter sur l’évolution technologique. On lui est redevable pour notre croissance économique et nos emplois modernes. Mais à quel point la technologie a-t-elle fait évoluer les emplois? De nombreuses critiques s’inquiètent en effet du fait que l’évolution technologique permet aujourd’hui de remplacer de nombreux postes autrefois tenus par des humains en leur substituant des machines et algorithmes perfectionnés. Faut-il donner confiance aux vieilles théories syndicalistes et laisser croire que l’innovation détruit les emplois?
Une étude du cabinet Deloitte prend le contre-pied de cette théorie et ces idées reçues. Pour plus de pertinence l’étude s’est basée sur les données collectées en Angleterre et en Écosse à partir du XIXe siècle. Les analystes du cabinet Deloitte ont ainsi évalué l’impact des évolutions technologiques sur différents métiers.
De fait, avec l’arrivée des machines à laver, les blanchisseurs se sont retrouvés sans emplois, représentant 1.4% de la population active en 1901, et 0.2% en 2011. De même pour l’agriculture en Grande-Bretagne, les agriculteurs ne représentaient plus en 2011 que 0.2% de la population active, contre 6.6% en 1871. Une différence provoquée par l’innovation.
En parallèle, les chiffres témoignant d’une destruction d’emplois démontrent aussi que les machines et innovations techniques ont permis l’émergence de nouveaux postes dans les secteurs liés aux services. En effet, une hausse de 909% du nombre d’infirmier(e)s au cours des deux dernières décennies a été constaté.
Le progrès technique a aussi donné lieu à une diminution de coûts de production suite à l’augmentation de la productivité. Les ménages commencèrent à dépenser plus dans le domaine des loisirs, et un nouveau secteur d’activité vit le jour.
Une création-destruction ou une mutation?
"Le lien de corrélation entre le progrès et l’emploi a toujours existé, les évolutions technologiques ont, de tout, temps, porté des impacts et influé sur le marché de l’emploi et l’accès à celui-ci" a déclaré Dorsaf Meddeb, consultante senior chez KPMG France, à Gomytech.
Aujourd'hui, les évolutions technologiques se font de plus en plus rapidement et leur impact est de plus en plus fort, si bien que l’on estime que 80% des métiers de 2030 n’existent pas encore, selon une étude de Dell et l’Institut du Futur, publiée en 2017.
Le virage numérique et digital des entreprises n’est pas non plus une nouveauté, puisque l’on en parle depuis plusieurs années et que ce virage a plutôt, dans les faits, pris la forme d’une transition plus ou moins progressive selon le degré d’urgence de la transformation et le secteur d’activité.
Les évolutions technologiques ont dessiné de nouvelles tendances pour le marché de l’emploi. Retenons-en deux des plus importantes: une tension forte sur les compétences IT disponibles (Business Intelligence, Big data, certifications sur les outils/technologies de pointe, data modeling, data mining, etc.) et la présence de volumes importants de personnes faiblement qualifiées ou ayant des compétences trop généralistes, alors que l’ensemble des secteurs d’activité s’orientent vers une recherche de profils experts et/ou spécialisés. "Il s’agit d’une dualité, combinée à une conjoncture économique très fluctuante, qui apporte beaucoup d’instabilité et d’imprévisibilité aux analyses long-termistes du marché de l’emploi" assène la consultante.
Quant à la création et destruction d’emplois, Dorsaf Meddeb a clairement indiqué qu’il s’agit davantage d’une réalité à deux dimensions que d’une ambiguïté, et qui finira d’ailleurs par s’estomper, à mesure de l’introduction des nouvelles compétences liées aux technologies dans un socle transverse de compétences.
A ses dires, il faut voir le fait technologique comme un élément déclencheur d’un ensemble d’actions, à porter par l’action publique sur l’enseignement et la formation ainsi que l’aide à l’accès ou au retour à l’emploi, mais aussi par les entreprises, en leur qualité d’ambassadrices de l’évolution professionnelle de leur capital RH.
Dans ce cadre, la fonction RH et plus précisément les services de développement RH ont un rôle crucial à jouer sur la prospective métier, l’étude et l'identification des tendances d’évolution induisant les évolutions des métiers.
Pour ces nouveaux emplois, au cœur de l’innovation et de la créativité, le marché de l’emploi obéit, comme son nom l’indique, à une logique de marché: "un emploi donné est mieux rémunéré si le nombre d’actifs qui l’exercent et qui sont disponibles est réduit. Il peut être mieux rémunéré lorsqu’il fait appel à des compétences de pointe, encore peu enseignées ou insuffisamment maîtrisées" a-t-elle expliqué.
Ces facteurs restent des tendances susceptibles d’évoluer au gré de l’arrivée de nouveaux candidats sur le marché et de la montée en compétences des actifs disponibles.
Et d’ajouter que l’arrivée, plus ou moins fracassante de la technologie dans les entreprises a des impacts organisationnels et culturels forts, à ne pas négliger. Ces technologies permettent aux collaborateurs, à terme et une fois maîtrisées, de réorienter leurs activités vers plus d’analytique, grâce à de nouvelles logiques d’automatisation, fiabilisation et industrialisation de tâches/processus.
Mais ce bénéfice n’est pas réalisé sans un effort conséquent d’accompagnement des collaborateurs dans l’évolution de leur métier et de conduite du changement associée.
La Tunisie… vers la montée des technologies?
Interrogée au sujet des innovations technologiques en Tunisie et de leurs capacités à transformer le marché de l'emploi -et l’économie dans son ensemble-, elle a déclaré que plusieurs pistes se profilent, s’agissant du cas tunisien.
D’abord, les entreprises doivent investir pleinement la question prospective métiers et ne plus la considérer comme un gadget RH. "Il est urgent de reconsidérer les impacts des évolutions technologiques sur la compétitivité des entreprises et d’adopter une approche anticipative sur le sujet" a-t-elle conseillé.
Ensuite, les établissements d’enseignement doivent aussi ajuster rapidement et de manière agile leur offre de formation pour l’aligner aux besoins du marché et des entreprises.
Enfin, les réseaux économiques ont également un rôle à jouer, via des observatoires de métiers, pour étudier et anticiper l’impact des technologies, le mesurer et y apposer des actions idoines pour que cet impact soit absorbé et ainsi, en faire un avantage servant la performance des organisations.
Des prédictions tantôt pessimistes, tantôt optimistes
En 2016, le centre de recherches du forum économique mondial de Davos a réalisé une étude sur les 15 économies les plus riches, ces pays couvrant au total environ 65% de la main d'œuvre mondiale. Le rapport, sous le nom de "The Future of Jobs", témoigne que l’IT, l’IA, l’automatisation et la robotisation, auront un impact sur les marchés du travail.
"Le nombre d'emplois perdus à cause l'automatisation ou la désintermédiation pourrait atteindre 7.1 millions, surtout chez les cols blancs et les tâches administratives", estimait l'étude.
A en croire Davos: "Ces pertes seront partiellement compensées par la création de 2.1 millions d'emplois nouveaux, principalement dans les domaines spécialisés, tels l'informatique, les mathématiques et l'ingénierie". Donc grâce à cette 4e révolution industrielle, 5 millions d’employés se seraient retrouvés sans revenus en 2020.
Dans son rapport de 2020, le World Economic Forum (WEF) estime qu'il est difficile de valider ses conclusions de 2016 en raison de l'épidémie du Covid-19 qui a apporté une perturbation supplémentaire au marché de l'emploi.
Dans ses prédictions pour l'année 2025 , le WEF estime que le nombre d’emplois détruits sera dépassé par le nombre "d’emplois du futur" créés. Les employeurs prévoient que d'ici 2025, les postes de plus en plus redondants passeront de 15,4% de l'effectif à 9% (baisse de 6,4%) et que les "nouveaux métiers" tech passeront de 7,8% à 13,5% (croissance de 5,7%) de l'effectif total des entreprises qui ont été interrogées. Sur la base de ces chiffres, le WEF estime que d'ici 2025, 85 millions d'emplois pourraient être "transformés" à cause de la division du travail entre humains et machines, tandis que 97 millions de nouveaux emplois pourraient émerger, plus adaptés à la nouvelle division du travail entre humains, machines et algorithmes.
"Nous constatons que si la création d’emplois fondée sur la technologie devrait encore dépasser la destruction d’emplois au cours des cinq prochaines années, la contraction économique réduit le taux de croissance des emplois de demain. Il est de plus en plus urgent de prendre des mesures proactives pour faciliter la transition des travailleurs vers des emplois plus durables. Il y a place pour un optimisme mesuré dans les données, mais le soutien des travailleurs exigera une collaboration publique-privée mondiale, régionale et nationale à une échelle et à une vitesse sans précédent", soutien Klaus Schwab, le fondateur et organisateur du Forum de Davos.