En cette période de crise, GoMyTech a décidé d’aller à la rencontre de plusieurs acteurs du monde économique en général et des startups en particulier, afin d’échanger avec eux des différents impacts qu’aura le Covid-19 sur l’économie, les finances, le social, la digitalisation ou encore l’administration ou sur des secteurs plus particuliers.
Pour ce deuxième épisode de cette série d’interviews, GoMyTech a échangé avec Hakim Ben Hammouda, économiste tunisien de renommée internationale, ancien ministre de l’Économie et des finances et co-auteur avec l’économiste Hédi Bchir de l’étude: “Les répercussions économiques du Coronavirus sur notre pays et les solutions à y apporter” publié par le journal Le Maghreb.
GoMyCode: Avec le Covid-19 et le confinement, l’administration tunisienne a enfin commencé sa digitalisation, même s’il reste beaucoup à faire. Pensez-vous qu’il ne s’agit là que de mesures conjoncturelles ou ce processus va-t-il inévitablement évoluer pour devenir la norme d’ici les mois à venir?
Hakim Ben Hammouda: La crise a montré le retard que nous avons accumulé depuis plusieurs années dans ce domaine. En dépit du grand dynamisme des entreprises privés et l’apparition de beaucoup de Start-ups dans ce domaine, l’État a fait preuve d’un grand immobilisme dans le domaine de la digitalisation et nous avons continué à vivre dans l’ère pré-digitalisation. Comme partout ailleurs, nous sommes en présence d’un État et d’une élite qui sont en train de gérer un ordre totalement dépassé, en crise et qui n’ont pas les moyens de repenser et de construire un nouvel ordre. Dans ce domaine, nous avons besoin d’une nouvelle stratégie agressive et audacieuse afin de rattraper le temps perdu et de nous inscrire dans le temps du monde.
Une partie du secteur privé, principalement les PME et les startups, a malgré tout réussi à s’adapter face à cette crise mais reste, sur le moyen terme tributaire de décisions prises par l’État central et des aides qui lui sera allouée. En l’absence d’un soutien fort de l’État, comment jugez-vous l’avenir de ces entreprises?
En l’absence d’un soutien fort de l’État, la situation risque d’être fort désastreuse pour les entreprises. Les entreprises vivent une crise majeure de liquidité et l’État a besoin de les aider pour en sortir. Ceci doit se faire en reportant tout paiement en sa faveur pour les prochains mois notamment ceux relatifs aux contributions sociales ou fiscales. L’État doit aussi accélérer les paiements dû aux trop perçu de TVA et d’impôt. L’État doit aussi renforcer le fond de de garantie qui permettra aux entreprises d’accéder au financement bancaire.
Mais, surtout, il faut que les différentes mesures prises soient claires, simples et rapides afin qu’elles aient de l’effet.
Depuis plusieurs semaines, un terme revient avec insistance dans différents débats, celui de l’Helicopter Money. Cette solution est-elle envisageable? Qu’est ce que cela impliquerait pour l’économie tunisienne?
Il s’agit d’un débat important et qui est significatif de la volonté d’un grand nombre d’économistes mais aussi de gouvernements de sortir des règles et des normes traditionnelles. Car à des temps et une crise exceptionnelles, il faut des réponses exceptionnelles. Ce débat a été renforcé par la décision de l’administration américaine de donner des chèques aux familles les plus touchées par la crise. Mais, d’une manière générale cette proposition concerne la nécessité de faire appel aux Banques centrales pour sortir de leurs réserves et de contribuer au financement direct des budgets des États.
De nombreux experts et économistes évoquent la fin d’une ère et le début d’une autre, qui sera basée sur une économie digitalisée. La Tunisie a-t-elle les moyens pour entrer dans cette nouvelle ère? Que préconisez-vous comme mesures à prendre rapidement pour ne pas rater cette opportunité?
Je crois que la Tunisie a besoin d’un nouveau projet et d’une nouvelle dynamique, sectorielles qui doivent tourner autour de quatre grands secteurs : le numérique, les secteurs sociaux et notamment la santé et l’éducation, les énergies renouvelables et l’industrie 4.0. Ce projet nous permettra de sortir de la crise du modèle de développement héritée des indépendances et nous permettra de rentrer dans l’ère de la post-modernité généreuse et innovante.
Vous avez récemment évoqué la crise sans précédent que traverse la globalisation, qui est vouée selon vous à disparaitre. Quel impact cela pourrait-il avoir sur l’économie tunisienne?
J’ai parlé de la crise de la globalisation néo-libérale qui a dominé le monde depuis le début des années 1980 et qui a été à l’origine d’une succession de crises économiques, sociales et écologiques. J’ai appelé de tous mes vœux à la construction d’un nouvelle globalité solidaire, durable et inclusive.
Pour la Tunisie, la crise de la globalisation néo-libérale exige la révision de nos choix de développement et particulièrement le développement des industries stratégiques notamment l’industrie pharmaceutique ainsi que le développement de notre sécurité alimentaire.
Au-delà des questions économiques, quel est le défi majeur à relever par la Tunisie dans l’immédiat?
Au-delà des questions économiques et des problèmes immédiats liés à la gestion de la crise du Covid-19, le plus important défi de la Tunisie est lié à la construction d’un nouveau contrat social capable de renouveler la politique, l’économie, le social et les libertés individuelles pour reconstruire le lien social dans notre pays.