Le tout technologique est-il en train de bouleverser le marché de l’emploi en Tunisie? Force est de constater que des compétences minimales sont aujourd’hui requises afin que les jeunes diplômés désireux d’intégrer le monde de la tech – mais aussi d’autres secteurs comme la santé ou la distribution - puissent le faire dans une optique d’évolution professionnelle dans ce milieu où la digitalisation de l’économie est en étroite dépendance avec le progrès.

Tous les secteurs touchés

Fatma Naboultane, spécialiste en communication et stratégie marketing et directrice du programme du pré-incubateur Open Startup Tunisia (OST), qui offre aux étudiants et aux nouveaux diplômés des programmes co-construits avec des experts nationaux et internationaux et destinés aux étudiants et aux jeunes fraîchement diplômés toutes disciplines confondues, insiste sur le "boom" technologique que l’on constate aujourd’hui dans des secteurs primordiaux comme la santé. "Même en Tunisie, de plus en plus de startups digitales se lancent dans le secteur de la santé, et depuis la crise sanitaire du coronavirus, on risque d’y voir apparaître une évolution supplémentaire. Pour une raison simple: ce secteur doit être plus agile et performant dans tous les domaines pour répondre à des besoins toujours plus pointus", indique-t-elle. Et cela en raison notamment de l’explosion démographique et du vieillissement de la population.

Même dans le diagnostic médical, la réalité augmentée (AR) et la réalité virtuelle (VR) sont en effet utilisées. Quant aux syndromes et maladies touchant les personnes âgées, comme la perte de mobilité du corps ou les troubles des sens (qu’ils soient cognitifs ou physiologiques), ils nécessiteront des traitements et des réponses qui, pour être réellement capables d’apporter un soutien concret aux patients, devront immanquablement être basés sur ces technologies, comme on le voit d’ailleurs avec certaines applications dédiées à ce type d’affections.

Zack Temtem, manager du programme de développement et de communication d’OST, estime pour sa part que les technologies doivent être sinon maîtrisées, du moins bien connues de tous dans leurs grandes lignes. Dans le monde du tout technologique, difficile en effet de trouver un emploi viable qui ne requerrait pas des compétences minimales en la matière. "On vit dans le monde de l’Internet of Things où tout est connecté, un monde où on parle de smart homes et de smart cities, où presque tout demande de la collecte de data", explique-t-il. L’une des industries les plus florissantes en la matière est celle des jeux vidéo qui, grâce aux technologies AR, VR ou de l’intelligence artificielle, évolue et change constamment, demandant des compétences sans cesse renouvelées et qui, surtout, s’alimentent elles-mêmes.

Par ailleurs, "en plus du secteur de la santé dont Fatma a parlé, il faut souligner que l’éducation tout comme d’autres secteurs comme la distribution sont fortement touchés par la nécessaire évolution des métiers", poursuit Zack Temtem. Fatma Naboultane abonde dans ce sens: "On a vu que le pays s’est arrêté pendant le confinement consécutif à la propagation du coronavirus, les marques et les commerces ont donc dû passer aux services en ligne pour survivre. C’est une logique qui est amenée à s’ancrer davantage dans tous les secteurs de l’économie".

Les compétences tech les plus prisées

Concrètement, travailler aujourd’hui dans la tech n’est plus le seul lot d’une strate de compétences limitée aux ingénieurs ou aux développeurs. Tous ceux qui aspirent à intégrer une startup, même s’ils ne sont pas appelés à participer au volet technique de son développement, doivent accumuler des connaissances globales en matière de nouvelles technologies et bien saisir les solutions qu’elles apportent.

Pour les autres, Zack assure que puisque chaque tech crée elle-même des métiers dans une sorte de logique d’auto-développement, "des technologies, comme la VR, nécessiteront que des environnements puissent être codés, designés, que des personnages puissent interagir avec l’utilisateur".

Pour lui, les métiers du design de services, de produits ou de plates-formes numériques font partie des compétences les plus demandées aujourd’hui. Quant aux tech en vogue qui seront nécessairement appelées à être maîtrisées par les startuppeurs de demain, "elles concernent, sans surprise, l’IA, la réalité mixte ou ‘mixed reality’, la big data et le cloud computing, ajoute-t-il. Ce sont des compétences essentielles car elles répondent à de nouvelles contraintes, comme celles que la récente crise sanitaire a fait apparaître".

Plus largement, Fatma Naboultane assure que "des compétences basiques comme la maîtrise des outils de communication, comme Google Meet ou Zoom, sont fondamentales pour assurer la communication d’une structure. Et il ne faut pas se contenter de savoir les utiliser, mais également pouvoir animer une réunion ou un événement digital".

Un écosystème tunisien globalement en bonne santé

En Tunisie, l’état des lieux des compétences est actuellement globalement positif.

De l’avis de la plupart des acteurs du secteur, il y existe un florissant vivier de compétences. Dans le système éducatif, plusieurs spécialités tech ont vu le jour, bien que les formations soient encore trop théoriques, offrant peu d’obligations d’accès au terrain.

"Finalement, plusieurs étudiants se voient incapables de créer des solutions prometteuses, des projets personnels. Ce sont ceux qui ont fait des projets personnels qui réussissent, avec généralement un recours à des cours en ligne et une expérience concrète", dit Temtem. Et de nuancer: "Toutefois, si on n’est pas tous très bons en tech, dans n’importe quelle technologie vous trouverez en Tunisie toute une liste de gens tout aussi compétents qu’ailleurs, notamment dans le domaine de l’IA".

Pour avoir observé pendant quelques années le monde tunisien des startups, où la tech est avant tout appelée à résoudre des problématiques globales, voire parfois sociales, Fatma Naboultane remarque que "la plupart des startups tunisiennes n’ont rien à envier à celles des pays développés en ce qui concerne la maîtrise des hautes technologies. En Tunisie, nous sommes très bien classés, surtout en regard de la région MENA".

Fuite des cerveaux: une tendance à la baisse

Toutefois, certains étudiants brillants (en big data, en data mining, etc.), ont parfois tendance à quitter le pays car leur formation – reconnue – leur permet de trouver ailleurs de meilleures opportunités d’évolution, surtout lorsqu’ils sortent des rangs d’écoles huppées comme l’INSAT ou l’ENIT. Un phénomène toutefois en baisse, selon Zack Temtem, qui indique que "les ingénieurs tunisiens désirent généralement rester dans leur pays lorsqu’ils y trouvent des perspectives d’évolution et d’épanouissement".

S’ils avaient auparavant tendance à partir en masse vers d’autres horizons, c’est "parce qu’ils ne trouvaient pas leur place au sein de structures tech valorisantes". Mais aujourd’hui, au vu du nombre grandissant de startups à haut potentiel de développement, de projets d’entrepreneuriat tech, et des nouvelles structures d’accompagnement, le départ des jeunes diplômés représente désormais une tendance à la baisse, surtout lorsqu’ils ont réalisé de bons PFE au sein de startups qui finissent par les recruter dans des postes engageants. "La Tunisie devient même un hub technologique en Afrique", assure-t-il encore, donnant pour preuve l’augmentation du nombre de projets étrangers pris en charge par des startuppeurs tunisiens.

Un milieu élitiste?

Les étudiants d’écoles réputées comme l’INSAT ou l’ENIT, et ceux provenant de régions périphériques où l’enseignement académique est objectivement de moindre qualité, sont-ils égaux devant les possibilités d’accès à ce monde qui peut parfois sembler cloisonné? Là aussi, les points de vue sont mitigés.

Fatma Naboultane, sans langue de bois, estime que la qualité de la formation constitue un indéniable facteur discriminant à l’embauche lorsque l’on considère le recrutement avec un prisme global. Toutefois, dit-elle, "il existe aujourd’hui tellement de programmes inclusifs, comme au sein d’OST, qui accepte dans ses rangs des étudiants de toutes les universités pourvu qu’ils soient férus de hautes technologies, que les jeunes diplômés sont finalement capables de compenser cet écart au niveau académique".

Zack Temtem fait quant à lui valoir qu’un bon développeur ou ingénieur est surtout celui qui n’hésite pas à "faire du terrain" afin de faire face de manière tangible à des problématiques nouvelles. "D’ailleurs, insiste-t-il, nombre de développeurs tech ne sont même pas sortis d’universités spécialisées, mais disposent plutôt d’un background orienté business. Ceux-là, ils ont appris le métier autrement qu’au travers d’un cursus universitaire classique". L’autodidaxie, l’autodiscipline et les formations, en présentiel ou en ligne, accessibles à tous comme à GoMyCode, viennent également pallier ces inégalités à l’apparence indépassables entre les milieux universitaires distincts par la qualité de l’enseignement qu’ils offrent, la technologie permettant, en raison de sa nature même, la démocratisation de la technologie.

Le progrès technologique risque-t-il de faire perdre des emplois?

La technologie vient aussi parfois développer des solutions visant à minimiser le travail des ingénieurs eux-mêmes: "Je pense par exemple à des solutions comme WordPress", illustre Temtem. Et le problème se trouve peut-être là.

Si les nouvelles technologies permettent de créer des emplois, en étant capables de s’alimenter elles-mêmes de leur évolution, qui nécessite des compétences encore naissantes, elles risquent toutefois, comme le montre une étude de McKinsey, d’en faire disparaître d’autres. "Des drones pilotés automatiquement présentent moins de risques d’erreur, par exemple, que quand il sont manipulés par des conducteurs humains", ajoute Zack.

Un constat nuancé par Fatma Naboultane qui évoque la possibilité qu’une multitude de métiers puisse à son tour apparaître pour inventer d’autres solutions technologiques.

Ce débat autour de l'employabilité alimente et continuera d'alimenter les discussions, en attendant, selon un rapport de Dell et "l'Institut pour le Futur" réalisé en 2017, 85% des métiers de 2030 n'existent pas encore aujourd'hui et seront créé grâce aux innovations technologiques.

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